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participation financière d’Arte. Bien que n’obligeant pas forcément à déboucher
sur un film diffusable (l’expérience aurait pu rester inédite), l’engrenage
conduit néanmoins à une telle concentration d’énergies, qu’écrit en un
trimestre, préparé en quatre semaines et tourné en un mois, L’Âge des possibles
devient un des meilleurs téléfilms de l’année... qui sort d’ailleurs simultanément
en salles au printemps 1995.
De fait, bien que Pascale Ferran parle de «chemin de traverse» à propos de
cette œuvre tournée au premier degré sans la complexité esthétique et le travail
symbolique inhérents au projet des Petits Arrangements avec les morts, la
cinéaste a su trouver une formulation cinématographique personnelle aux
interrogations, aux attentes, aux espoirs ou angoisses de dix jeunes gens de 20 à
25 ans dont elle tresse les destins de manière unanimiste tout en respectant
néanmoins les individualités comme les solitudes. Dans ce deuxième long
métrage en effet, c’est encore la structure qui génère le sens: le film débute par
le montage habile de vignettes épinglant les comportements de dix personnages
saisis en instantanés, chacun dans son minuscule univers étanche, mais la
cinéaste situe son prélude à mi-chemin entre l’étouffante ouverture des Autres
(Hugo Santiago, 1974) et la légèreté aérienne du début des Favoris de la lune
(Otar Iosseliani, 1985), films polyphoniques qui imposaient une tonalité alors
que L’Âge des possibles suspend la signification du tableau de groupe aux
résonances intimes que ces amorces d’anecdotes peuvent provoquer chez
chaque spectateur. Pourtant, après une bonne demi-heure, une voix off
interrompt brutalement ce zapping haletant à travers dix bribes de récit, pour
énoncer en démiurge la problématique du scénario: il est question de peur
généralisée face à l’emploi, à l’amour, à l’argent, à l’avenir, peur paralysante et
qu’il faut absolument tuer en chacun de nous pour remettre en route la machine.
De fait, le film reprend aussitôt, mais des situations similaires se lestent à
présent d’un autre sens, non seulement parce que le spectateur va être tenté
d’utiliser cette grille de lecture, mais surtout parce que Pascale Ferran donne
alors aux personnages le temps et l’espace nécessaires à s’engager dans une
prise de conscience désormais possible à mener dans des séquences plus
longues, plus dialoguées et davantage réflexives: certains ne s’en sortiront pas,
d’autres y laisseront des plumes, mais tous auront bougé, secoué
l’immobilisme, cherché leur place et leur vérité. L’émotion devient intense (par
exemple lorsque Denise chante «Toulouse» au milieu de la brasserie
alsacienne), les rapports s’exaspèrent et, tandis qu’Agnès et Béatrice chantent
Peau d’Âne de Jacques Demy, Frédéric profère un émouvant éloge de la naïveté
sur lequel Pascale Ferran clôt son film.
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Chacun, en somme, trouve enfin ses propres mots pour exprimer, elles leur
désir de bonheur et lui sa soif de sincérité: les unes chantent l’autre crie, mais
les deux rouvrent le robinet de la vie, des appétits, des projets, bref de l’avenir.
Ce bel acte de foi en soi-même balaye tous les miasmes qui empoisonnaient
cette jeunesse et brisaient son élan. La dynamique du mouvement rend ainsi
joyeusement à tous l’âge des possibles loin de la sinistrose frileuse qui minait
sournoisement le récit: les fondus au noir remplacent le montage cut
réintroduisant désormais des marges où l’air, le temps et l’espace peuvent se
donner libre cours.
Tous ces téléfilms prouvent qu’aujourd’hui un «événement cinéphilique»
peut fort bien avoir lieu sur le petit écran au lieu de se dérouler obligatoirement
comme hier en salle. Il est vrai que les films en double version cinéma-TV étant
ces années 1994–1995 signés A. Téchiné (Les Roseaux sauvages, Le Chêne et le
roseau), J. Doillon (Du fond du cœur, Germaine et Benjamin) ou B. Jacquot
(Marianne, La Vie de Marianne), les résultats sont forcément plus intéressants
qu’il y a une décennie lorsqu’ils étaient l’œuvre en 1983 de R. Enrico (Au nom de
tous les miens), C. Chabrol (Le Sang des autres) ou A. Carneau (Fort Saganne).
LES MÉRITES DU TÉLÉFILM HEXAGONAL
Le temps n’est plus où, à la télévision, la fiction française faisait
doublement figure de parent pauvre, d’abord face aux films de cinéma mais
aussi vis-à-vis des autres émissions (informations, sports, variétés) produites
pour le petit écran. Dorénavant en effet, la «demande» du public va vers les
fictions télevisuelles qui deviennent un carrefour d’audience stratégique de
toutes les chaînes généralistes, publiques comme privées. Il est vrai que le
déclin de l’audience du cinéma français en salles dans les années 80 puis à la
télévision dans la décennie 90 incite les chaînes à investir de plus en plus aussi
bien dans le téléfilm que dans les séries et feuilletons.
D’abord spécialistes du sitcom bas de gamme, TFl et M6 changent en effet
de politique en renonçant à la production au rabais: M6 engage Françoise Verny
au printemps 1995, ancienne figure emblématique de l’édition (chez Gallimard
puis Flammarion) et responsable en 1994 de la fiction à France 2 aux côtés de
Didier Decoin. Dans le même temps, TFl décide de consacrer deux soirées par
semaine à la fiction télévisuelle et envisage même de lui en réserver une
troisième. L’année 1995 voit l’investissement passer à l milliard de francs pour
la fiction à TF1 qui ne lui consacrait que 370 millions en 1988. La même année,
le prix moyen d’une heure de fiction lourde était de l,8 million de francs alors
participation financière d’Arte. Bien que n’obligeant pas forcément à déboucher Chacun, en somme, trouve enfin ses propres mots pour exprimer, elles leur sur un film diffusable (l’expérience aurait pu rester inédite), l’engrenage désir de bonheur et lui sa soif de sincérité: les unes chantent l’autre crie, mais conduit néanmoins à une telle concentration d’énergies, qu’écrit en un les deux rouvrent le robinet de la vie, des appétits, des projets, bref de l’avenir. trimestre, préparé en quatre semaines et tourné en un mois, L’Âge des possibles Ce bel acte de foi en soi-même balaye tous les miasmes qui empoisonnaient devient un des meilleurs téléfilms de l’année... qui sort d’ailleurs simultanément cette jeunesse et brisaient son élan. La dynamique du mouvement rend ainsi en salles au printemps 1995. joyeusement à tous l’âge des possibles loin de la sinistrose frileuse qui minait De fait, bien que Pascale Ferran parle de «chemin de traverse» à propos de sournoisement le récit: les fondus au noir remplacent le montage cut cette œuvre tournée au premier degré sans la complexité esthétique et le travail réintroduisant désormais des marges où l’air, le temps et l’espace peuvent se symbolique inhérents au projet des Petits Arrangements avec les morts, la donner libre cours. cinéaste a su trouver une formulation cinématographique personnelle aux Tous ces téléfilms prouvent qu’aujourd’hui un «événement cinéphilique» interrogations, aux attentes, aux espoirs ou angoisses de dix jeunes gens de 20 à peut fort bien avoir lieu sur le petit écran au lieu de se dérouler obligatoirement 25 ans dont elle tresse les destins de manière unanimiste tout en respectant comme hier en salle. Il est vrai que les films en double version cinéma-TV étant néanmoins les individualités comme les solitudes. Dans ce deuxième long ces années 1994–1995 signés A. Téchiné (Les Roseaux sauvages, Le Chêne et le métrage en effet, c’est encore la structure qui génère le sens: le film débute par roseau), J. Doillon (Du fond du cœur, Germaine et Benjamin) ou B. Jacquot le montage habile de vignettes épinglant les comportements de dix personnages (Marianne, La Vie de Marianne), les résultats sont forcément plus intéressants saisis en instantanés, chacun dans son minuscule univers étanche, mais la qu’il y a une décennie lorsqu’ils étaient l’œuvre en 1983 de R. Enrico (Au nom de cinéaste situe son prélude à mi-chemin entre l’étouffante ouverture des Autres tous les miens), C. Chabrol (Le Sang des autres) ou A. Carneau (Fort Saganne). (Hugo Santiago, 1974) et la légèreté aérienne du début des Favoris de la lune (Otar Iosseliani, 1985), films polyphoniques qui imposaient une tonalité alors LES MÉRITES DU TÉLÉFILM HEXAGONAL que L’Âge des possibles suspend la signification du tableau de groupe aux résonances intimes que ces amorces d’anecdotes peuvent provoquer chez Le temps n’est plus où, à la télévision, la fiction française faisait chaque spectateur. Pourtant, après une bonne demi-heure, une voix off doublement figure de parent pauvre, d’abord face aux films de cinéma mais interrompt brutalement ce zapping haletant à travers dix bribes de récit, pour aussi vis-à-vis des autres émissions (informations, sports, variétés) produites énoncer en démiurge la problématique du scénario: il est question de peur pour le petit écran. Dorénavant en effet, la «demande» du public va vers les généralisée face à l’emploi, à l’amour, à l’argent, à l’avenir, peur paralysante et fictions télevisuelles qui deviennent un carrefour d’audience stratégique de qu’il faut absolument tuer en chacun de nous pour remettre en route la machine. toutes les chaînes généralistes, publiques comme privées. Il est vrai que le De fait, le film reprend aussitôt, mais des situations similaires se lestent à déclin de l’audience du cinéma français en salles dans les années 80 puis à la présent d’un autre sens, non seulement parce que le spectateur va être tenté télévision dans la décennie 90 incite les chaînes à investir de plus en plus aussi d’utiliser cette grille de lecture, mais surtout parce que Pascale Ferran donne bien dans le téléfilm que dans les séries et feuilletons. alors aux personnages le temps et l’espace nécessaires à s’engager dans une D’abord spécialistes du sitcom bas de gamme, TFl et M6 changent en effet prise de conscience désormais possible à mener dans des séquences plus de politique en renonçant à la production au rabais: M6 engage Françoise Verny longues, plus dialoguées et davantage réflexives: certains ne s’en sortiront pas, au printemps 1995, ancienne figure emblématique de l’édition (chez Gallimard d’autres y laisseront des plumes, mais tous auront bougé, secoué puis Flammarion) et responsable en 1994 de la fiction à France 2 aux côtés de l’immobilisme, cherché leur place et leur vérité. L’émotion devient intense (par Didier Decoin. Dans le même temps, TFl décide de consacrer deux soirées par exemple lorsque Denise chante «Toulouse» au milieu de la brasserie semaine à la fiction télévisuelle et envisage même de lui en réserver une alsacienne), les rapports s’exaspèrent et, tandis qu’Agnès et Béatrice chantent troisième. L’année 1995 voit l’investissement passer à l milliard de francs pour Peau d’Âne de Jacques Demy, Frédéric profère un émouvant éloge de la naïveté la fiction à TF1 qui ne lui consacrait que 370 millions en 1988. La même année, sur lequel Pascale Ferran clôt son film. le prix moyen d’une heure de fiction lourde était de l,8 million de francs alors 77 78