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La diversité de ses expériences, l’occasion qu’il avait eue à la tête du
Théâtre des Quatre-Saisons, d’éprouver sa conception d’un théâtre populaire lui
avaient appris la nécessité du contact avec le «vrai public, large, mélangé, le
plus humain, c’est-à-dire le mieux choisi».
Pour ceux qui avaient 20 ans en 1944, sa mise en scène de l’Antigone
d’Anouilh fut un événement.
LE THÉÂTRE EST-IL NECESSAIRE ?
A cette approche de Freud, théorie du spectateur énoncée d’un point de vue
de spectateur, répondent, selon une nette symétrie, les analyses de Stanislavski:
théorie de l’acteur, pensée depuis la position d’acteur. Autant Freud, de son
côté, et pas seulement dans ce texte bien sûr, tente d’analyser ce que voit le
regard porté sur la représentation, autant Stanislavski essaie de mettre à jour ce
que montre celui qui représente. Leur contemporanéité est frappante, même si
les principaux textes du metteur en scène russe sont un peu plus tardifs que le
petit écrit du fondateur de la psychanalyse. Ni l’un ni l’autre ne se satisfont des
visées conscientes, quoique Stanislavski, si l’on en juge par les versions
françaises disponibles, parle plus volontiers de sub- (que d’in-) conscient. En
tout cas, comme Freud et beaucoup d’autrès, il tient pour indiscutable l’écart
entre l’acteur et ce qu’il joue. De par son point de vue (d’acteur), il se place
même, peut-on dire, exactement au creux de cet écart, dans l’entre-deux de la
fourche. Et tout l’objet de son travail est de déterminer des procédures afin de
rapprocher le plus possible, de faire se joindre ces deux branches que tout
sépare, foncièrement distantes l’une de l’autre. Il s’agit de parvenir au point où
sera «établi ce contact entre votre vie et votre rôle». «Vous devez penser, lutter,
sentir et agir en communion avec votre personnage». La distance entre le joueur
et la chose à jouer structure la donne initiale, il faut tout faire pour la réduire.
C’est le mouvement même de l’identification.
Pour désigner le point de conjonction qu’il faut atteindre, Stanislavski
n’emploie pas ce terme, mais dit: vivre son rôle, ou vivre son personnage.
«Dans notre art, c’est à chaque instant de votre rôle, et chaque fois que vous
jouez, que vous devez vivre votre personnage. ...Etudiez ce qui est à la base de
notre système: vivez votre rôle». Que veut dire: vivre son rôle? Ce que l’on vit,
d’ordinaire, c’est sa vie. Vivre son rôle, c’est engager sa vie propre dans la vie
supposée de son rôle. En même si l’on entend l’expression au sens d’«éprouver
intensément», comme lorqu’on dit «vivre une situation, un événement», cela
revient au même, au bout du compte: car dans ce sens, vivre son rôle, c’est
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éprouver intensément les sentiments qui font, ou portent, la vie du rôle. «Si l’on
ne “vit” pas son personnage, il ne peut y avoir d’art véritable; et cela ne
commence que lorsque les sentiments interviennen». Vivre, c’est d’abord sentir.
Les actions s’articulent aux sentiments. Il ne s’agit pas de les représenter, ou de
les imiter, mais bien de les vivre: Stanislavski s’oppose par là à ce qu’il appelle
«l’école de la représentation», dont les tenants reproduisent des «formes».
Ceux-là «pensent souvent qu’il vaut mieux, une fois leur plan établi, ne rien
sentir du tout». D’autrès, qui pratiquent ce qu’il appelle un «jeu mécanique»,
«ne cherchent pas à éprouver les sentiments du personnage». A l’un d’eux, il
reproche: «Et avec quoi [avez-vous abordé votre rôle]? De vrais sentiments,
correspondant à ceux du personnage que vous incarnez? Vous n’en éprouviez
aucun».
Le but est donc d’entrer en relation étroite avec les sentiments supposés du
rôle. Stanislavski décompose avec soin le processus de cette supposition.
L’analyse est fine, l’identification dont il s’agit ici n’opère pas de façon
immédiate ou massive: ce qui donne au «système» cette élaboration complexe
qui le caractérise. Le lien est actif dans les deux sens: «Il faut d’abord assimiler
votre modèle». Ici, on intègre les données du rôle, on se les incorpore, la
relation est orientée du personnage vers le comédien. «C’est en travaillant ainsi
... que vous parviendrez à l’animer de vos propres sentiments». Là, en
revanche, le travail se porte de la vie propre de l’acteur vers son rôle: la flèche
identificatrice est inversement dirigée. C’est une des richesses de la méthode,
qui n’en manque pas; le travail prend appui sur les deux pôles; il ne prescrit pas
seulement une ingestion des données supposées du personnage; il projette tout
autant dans celui-ci des motions propres de l’acteur. Il associe également de
façon élaborée le sentir et l’agir, articulés par la supposition, la technique du si:
«Les sentiments ainsi éveillés s’exprimeront par les actes mêmes qui auraient
été ceux de ce personnage imaginaire s’il s’était trouvé dans les circonstances
de la pièce». Et l’on sait que sur ce point la réflexion de Stanislavski ne cessera
de s’approfondir, jusqu’à la «méthode des actions physiques», qui tardivement
semblera presque retourner l’articulation mimétique: puisqu’à l’inverse du
schéma courant il s’agira de se fonder sur le réel du comportement scénique
pour en déduire les corrélations narratives.
Ce qui nous importe ici, c’est que dans tous les cas la réalité du personnage
est inlassablement posée comme imaginaire. «Vous savez tous maintenant que
nous devons aborder une pièce en commençant par le si, qui sert de clef pour
nous faire passer de la vie de tous les jours dans le domaine de l‘imagination.
La pièce, les personnages sont une invention de l’auteur, une série de
La diversité de ses expériences, l’occasion qu’il avait eue à la tête du éprouver intensément les sentiments qui font, ou portent, la vie du rôle. «Si l’on Théâtre des Quatre-Saisons, d’éprouver sa conception d’un théâtre populaire lui ne “vit” pas son personnage, il ne peut y avoir d’art véritable; et cela ne avaient appris la nécessité du contact avec le «vrai public, large, mélangé, le commence que lorsque les sentiments interviennen». Vivre, c’est d’abord sentir. plus humain, c’est-à-dire le mieux choisi». Les actions s’articulent aux sentiments. Il ne s’agit pas de les représenter, ou de Pour ceux qui avaient 20 ans en 1944, sa mise en scène de l’Antigone les imiter, mais bien de les vivre: Stanislavski s’oppose par là à ce qu’il appelle d’Anouilh fut un événement. «l’école de la représentation», dont les tenants reproduisent des «formes». Ceux-là «pensent souvent qu’il vaut mieux, une fois leur plan établi, ne rien LE THÉÂTRE EST-IL NECESSAIRE ? sentir du tout». D’autrès, qui pratiquent ce qu’il appelle un «jeu mécanique», «ne cherchent pas à éprouver les sentiments du personnage». A l’un d’eux, il A cette approche de Freud, théorie du spectateur énoncée d’un point de vue reproche: «Et avec quoi [avez-vous abordé votre rôle]? De vrais sentiments, de spectateur, répondent, selon une nette symétrie, les analyses de Stanislavski: correspondant à ceux du personnage que vous incarnez? Vous n’en éprouviez théorie de l’acteur, pensée depuis la position d’acteur. Autant Freud, de son aucun». côté, et pas seulement dans ce texte bien sûr, tente d’analyser ce que voit le Le but est donc d’entrer en relation étroite avec les sentiments supposés du regard porté sur la représentation, autant Stanislavski essaie de mettre à jour ce rôle. Stanislavski décompose avec soin le processus de cette supposition. que montre celui qui représente. Leur contemporanéité est frappante, même si L’analyse est fine, l’identification dont il s’agit ici n’opère pas de façon les principaux textes du metteur en scène russe sont un peu plus tardifs que le immédiate ou massive: ce qui donne au «système» cette élaboration complexe petit écrit du fondateur de la psychanalyse. Ni l’un ni l’autre ne se satisfont des qui le caractérise. Le lien est actif dans les deux sens: «Il faut d’abord assimiler visées conscientes, quoique Stanislavski, si l’on en juge par les versions votre modèle». Ici, on intègre les données du rôle, on se les incorpore, la françaises disponibles, parle plus volontiers de sub- (que d’in-) conscient. En relation est orientée du personnage vers le comédien. «C’est en travaillant ainsi tout cas, comme Freud et beaucoup d’autrès, il tient pour indiscutable l’écart ... que vous parviendrez à l’animer de vos propres sentiments». Là, en entre l’acteur et ce qu’il joue. De par son point de vue (d’acteur), il se place revanche, le travail se porte de la vie propre de l’acteur vers son rôle: la flèche même, peut-on dire, exactement au creux de cet écart, dans l’entre-deux de la identificatrice est inversement dirigée. C’est une des richesses de la méthode, fourche. Et tout l’objet de son travail est de déterminer des procédures afin de qui n’en manque pas; le travail prend appui sur les deux pôles; il ne prescrit pas rapprocher le plus possible, de faire se joindre ces deux branches que tout seulement une ingestion des données supposées du personnage; il projette tout sépare, foncièrement distantes l’une de l’autre. Il s’agit de parvenir au point où autant dans celui-ci des motions propres de l’acteur. Il associe également de sera «établi ce contact entre votre vie et votre rôle». «Vous devez penser, lutter, façon élaborée le sentir et l’agir, articulés par la supposition, la technique du si: sentir et agir en communion avec votre personnage». La distance entre le joueur «Les sentiments ainsi éveillés s’exprimeront par les actes mêmes qui auraient et la chose à jouer structure la donne initiale, il faut tout faire pour la réduire. été ceux de ce personnage imaginaire s’il s’était trouvé dans les circonstances C’est le mouvement même de l’identification. de la pièce». Et l’on sait que sur ce point la réflexion de Stanislavski ne cessera Pour désigner le point de conjonction qu’il faut atteindre, Stanislavski de s’approfondir, jusqu’à la «méthode des actions physiques», qui tardivement n’emploie pas ce terme, mais dit: vivre son rôle, ou vivre son personnage. semblera presque retourner l’articulation mimétique: puisqu’à l’inverse du «Dans notre art, c’est à chaque instant de votre rôle, et chaque fois que vous schéma courant il s’agira de se fonder sur le réel du comportement scénique jouez, que vous devez vivre votre personnage. ...Etudiez ce qui est à la base de pour en déduire les corrélations narratives. notre système: vivez votre rôle». Que veut dire: vivre son rôle? Ce que l’on vit, Ce qui nous importe ici, c’est que dans tous les cas la réalité du personnage d’ordinaire, c’est sa vie. Vivre son rôle, c’est engager sa vie propre dans la vie est inlassablement posée comme imaginaire. «Vous savez tous maintenant que supposée de son rôle. En même si l’on entend l’expression au sens d’«éprouver nous devons aborder une pièce en commençant par le si, qui sert de clef pour intensément», comme lorqu’on dit «vivre une situation, un événement», cela nous faire passer de la vie de tous les jours dans le domaine de l‘imagination. revient au même, au bout du compte: car dans ce sens, vivre son rôle, c’est La pièce, les personnages sont une invention de l’auteur, une série de 53 54
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